« I choose violence »

Je me considère comme quelqu’un de gauche. Le fait d’être pédé, de m’être fait casser la gueule à cause de ça, d’en avoir perdu des opportunités professionnelles, d’avoir vendu mes services sexuels à un moment de ma vie (pas suffisamment pour ne pas finir indigent socialement ceci dit) et d’avoir galéré pendant 10 ans avant de retrouver une stabilité relative, tout cela a renforcé ces convictions de gauche. Pour autant, l’état actuel du monde, et en particulier de la France, dans la mesure où j’y vis, m’interroge. La droitisation générale des 15 dernières années m’inquiète. Pire, je ne trouve plus d’offre politique qui me corresponde dans le paysage français. Je me désolais d’ailleurs encore, il y a peu, du vide intégral entre le PS (devenu en 20 ans le vrai parti centriste entre l’extrême gauche et l’extrême droite, tellement centriste qu’il est incapable d’avoir une vrai proposition politique forte avec une vision à long terme) et l’extrême gauche révolutionnaire (NPA, LO, UCL).

Quid de la France Insoumise me direz vous ? C’est un échec complet. Mélenchon et sa clique, se rêvent en révolutionnaires alors que la plupart sont des bourgeois se donnant bonne conscience, qu’ils sont dépassés sur le terrain en matière de culture révolutionnaire/transformatrices par les associations à vocation sociales sur les questions de discriminations et de lutte contre l’exclusion et par les partis historique en matière de culture révolutionnaire en politique. Pire, Mélenchon est incapable de penser le mouvement sans lui-même, tout en s’en dédisant perpétuellement,  et quand il faut intervenir dans le débat public, malgré toute sa culture politique, il échoue lamentablement soit par excès de prudence (Dernier en date : le communiqué de presse sur l’affaire George Floyd qui arrive à faire l’économie des mots « racisme » et « racisés » alors que c’est précisément le sujet, et qui parle des noirs du bout des lèvres) soit parce qu’il est dans l’invective et la fustigation creuse. Si vous ajoutez à ça qu’il se traîne des boulets aux dents longues de com et d’auto-promo comme Guarido et Corbière… L’échec est cuisant.

L’extrême gauche classique de son côté se perd éternellement dans le manque de moyens financiers (« l’argent, çay le mal »), et donc dans une survie au quotidien et à court terme,et dans des postures anarchistes intenables. Etre anarchiste, quand on prétend faire partie de la société, c’est hypocrite : l’anarchie, c’est l’absence même de société, c’est une forme de chacun pour sa gueule qui ne vaut pas mieux que l’extrême droite qui dit « les miens d’abord, les autres ensuite, s’ils pensent comme moi et si nécessaire, la mort pour eux ».

Un ami de poser la question, l’autre jour, alors que je m’en désolais : « Mais y a-t-il une demande de gauche ?’ Clairement : oui. Les manifs pour plus d’hôpital public, plus de recherche, plus d’éducation, plus d’écologie, plus d’équité sociale, moins de discrimination, mêmes les gilets jaunes, aussi disparates fussent-il disparates politiquement en sont la preuve. On a une prix Nobel d’économie française et d’autres qui expliquent partout que le revenu universel sans condition, loin d’être une belle utopie, non seulement est réalisable économiquement malgré l’état du monde, mais en plus souhaitable socialement ET économiquement, pour peu qu’on s’en donne la peine. On sait aussi pertinemment que prioriser l’éducation, la santé, et la réduction de l’inéquité sociale réduit les tensions, alors qu’augmenter les forces de l’ordre paradoxalement exacerbe les tensions. Bref, il y a clairement un boulevard autour de la convergence des luttes contre les discriminations et plus de socialisme institutionnel, plus d’écologie, plus de proximité et plus de régulation du capitalisme, sur une réforme de l’Europe libérale vers plus de social, plus décentralisation nationale et européenne… Mais non. On a un parti socialiste qui n’a plus de socialiste que le nom, un parti présidentiel ni de gauche, ni de droite, qui s’allie systématiquement avec la droite contre les écolos et dès lors qu’ils ont l’air d’avoir des amis gauchistes et une offre de gauche écolo politique nationale et européenne désespérément inexistante. Donc on risque pas de voter pour elle. Hin, hin, hin.

Pourtant, être de gauche, ça ne me semble pas très compliqué, c’est partir du principe qu’il faut plus d’éducation, plus de santé publique, plus de justice sociale et d’équité, plus de justice tout court, plus d’écologie, plus de solidarité, moins de roman national, plus de citoyenneté mondiale, une police au service des population avant d’être un bras armé de l’Etat, et qu’aucune de ces options n’est négociable à moyen ou long terme, et qu’on va être très public sur ce point, parce que vouloir le bien de l’ensemble de l’humanité, de façon durable, c’est ça être civilisé. Rien que ça, ça devrait enthousiasmer les gens, susciter des vocations de faire, de mobiliser des moyens, de vouloir être solidaire et trouver un écho politiquement. Alors oui, ponctuellement, localement, oui. Mais nationalement, rien et internationalement, c’est affligeant. Le vide absolu. Et je sais pas vous, mais moi, ça m’inquiète carrément. Parce qu’en face la droite continue à fonctionner sur le mode « manger ou être mangé » (et si tu trouves ça caricatural, je rappel le sport national à droite : mettre toujours plus de pognon de côté, légalement ou pas, et lécher tous les culs possibles pour ça : coucou Patrick, coucou Nicolas, coucou François… Et je peux allonger la liste ad-vitam jusque Vladimir Poutine ou Donald Trump, en passant par les mecs de Mossec-Fonseca.) et qu’à l’extrême de cette droite, il y a des milices armées qui ne disent pas leur nom qui n’hésitent jamais sur « faut-il casser la gueule des gauchiste ? » et crois dur comme fer au « Tuer ou être tué » (Clément Méric, anyone ?).

Alors évidemment, les sujets de gauche sont tous complexes, ne tiennent pas en 280 caractères et sont imbitables pour un public abreuvé à Cyril Hanouna, et la télé poubelle, sans l’ombre du cul d’une once de culture générale, et qui a subit en 20 ans :
– le démantèlement de l’éducation, de la recherche, et de la santé au profit de la police,
– les cadeau financiers aux grands groupe sans contrepartie réelle (Coucou le CICE, coucou les milliards donnés à Airbus suite au confinement rapportés au 200 millions donné à l’hôpital public et j’en passe),
– l’immobilisme face à l’évasion fiscale des grands groupe, voire l’organisation de celle-ci à l’échelle européenne,
– le démantèlement des ressources de l’Etat, de la privatisation des autoroutes à celle de la française des jeux en passant par l’ouverture à la concurrence de l’énergie là où il aurait fallu créer un pôle régalien européen avec un plan de développement durable sur le sujet…
Le monde continue de devenir plus riche globalement, et pourtant, les circonstances individuelles générales dans un pays encore riche et développé se sont détériorées, y a comme un problème de répartition des richesses et le monde continue de virer à droite.

Je suis prêt à admettre en la matière ma propre indigence politique. J’ai une vision parcellaire du monde (Sans virer complotiste, j’ai sérieusement le vertige en regardant The Laundromat, de constater comment certains nous la mettent profond internationalement, avec gravier, gros sel et vinaigre en toute impunité) et sans doute simpliste J’admets volontiers également, je n’ai jamais été préparé à vivre violemment. J’ai peu de goût pour le débat politique (j’ai besoin de conserver le peu de santé mentale qui me reste dans ce monde qui ressemble de plus en plus à un épisode de Black Mirror) d’autant plus qu’être de gauche me semble une telle évidence en tant que personne discriminée, que j’admets volontiers ne pas vouloir devoir m’en justifier. Encore moins dans un contexte de polarisation violente des débats. Accessoirement, le confort tue l’activisme de gauche réel, quand il ne fait pas virer vers la droite modérée, ou au delà. Et c’est un constat que je fais sans peine : tous les activistes réellement de gauche que je connais, sont hors partis, et sont celleux qui subissent l’inconfort sociétal avec plus ou moins d’intensité ou qui s’y frottent au quotidien. Tous ceux qui retrouvent un confort relatif, moi le premier, perdent l’envie, la rage, la gniack. Le confort, d’une certaine façon, c’est la mort de la gauche réellement militante, ça l’a été dans mon cas et je suis loin d’être le seul, sans doute. Et ça m’interroge. Pas sur mes convictions. Je vais paraphraser Jean Genet, en disant que je vais continuer à me sentir nègre quand les nègres sont persécutés, à me sentir femme ou ouvrier quand les femmes et les ouvriers sont méprisés, et à ne pas être pédé pour rien. Matin Brun, non merci. Mais je m’interroge sur la violence du monde actuel. « When they go low, we go high »… Oui… Certes. Tout cela est bien joli. Mais quid « when they want us dead, and the law proves useless, how do we stop them ? Alors non, l’idée ça n’est pas d’aller faire justice moi-même en allant casser du facho. Non, l’idée ça n’est pas de démonter la gueule en ligne de façon systématique à tous ceux qui ne pensent pas comme moi. Non, l’idée ça n’est pas de tout casser. Mais je comprends la violence de toutes celleux qui se mobilisent à l’heure actuelle, parce qu’elle est proportionnelle à leur désarroi. Et au mien.

Reste la question de la non violence. Les réacs ont déjà fait mon procès de leur côté et celui des personnes qui partagent mes convictions. Et clairement, agir de façon honnête et juste ne fait pas partie de leur plan. Être respectueux au delà d’une la politesse formelle apparente, ne fait pas partie de leur plan… Pire, ils utilisent le moindre manquement à la forme ou le moindre manquement apparent à la pureté militante pour nous décrédibiliser. Et pour les plus extrêmes d’entre eux, notre mort est une solution acceptable. Alors, face à ceux qui grugent allègrement, et face au bruit des bottes qui vient, quand la politique et la loi semblent bien inutiles, on lutte comment ? Honnêtement, je ne sais plus. Mais dans un coin de ma tête, allez savoir pourquoi, il y a Cersei Lannister qui me répond « I choose violence ».

Et ça me travaille.

12 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. Matoo dit :

    Je comprends que ça puisse travailler, mais pour moi non, impossible. La violence n’est jamais une solution selon moi, car elle te renvoie dos à dos avec tes opposants. Et j’en ai trop souffert pour vouloir m’en emparer, et faire subir aux autres un truc que je réprouve. Mais si on regarde la « big picture », je ne vois pas non plus comment faire autrement. Du coup il faut au moins bien circonscrire les choses entre « branches armées / non armées » (le couple M. Luther King / Malcolm X), et se débarrasser de la violence dès que le choc nécessaire à l’instauration d’un statu quo a été balancé. Mais la tentation du pouvoir est souvent la plus forte…

    1. L. dit :

      Je suis un petit gros, j’ai mis du gras entre moi et la violence du monde. Je vais pas devenir une gym queen armée jusqu’aux dents en treillis arc en ciel et casque à paillettes. Mais j’ai le sentiment que nous ne sommes plus assez révoltés pour notre bien, pour notre survie. Alors que BFNTV et CNews et la pluparts des médias généralistes mettent sur le même plan, les gens qui demandent juste le respect et la reconnaissance de leurs droits et les mecs qui appellent de façon de moins en moins voilée à la disparition violente des premiers, forcément ça me travaille. Et je n’ai pas de réponse satisfaisante, et c’est très insatisfaisant.

      1. Matoo dit :

        Moi aussi chuis une petite grosse tapette pailletée !!! :DDDDDDDDD

        1. L. dit :

          Ch’uis au courant XD
          C’est pour ça que je vous aime toi, ton ‘péruvien’ (je m’en remettrais jamais de celle là) et vos deux squatteuses qui manigancent la future domination du monde (enfin, demain, parce que là, y a sieste sur le canapé !) par les chats.

  2. L. dit :

    Et puis que tout ça me travaille, un thread twitter qui partage mes angoisses (mais pas ma Cersei Lannister intérieure, mieux, qui offrirait même des pistes pour juguler le recours à la violence) https://twitter.com/GregPogorzelski/status/1272402931531251718

    Morceaux choisis :

    Toute cette merde ressemble de moins en moins à une bande d’imbéciles qui ne savent pas ce qu’ils font, et de plus en plus à une bande de fascistes qui jouent aux cons pour qu’on ne se méfie pas
    Bon après je dis pas qu’ils sont compétents mais le monde n’est pas une méritocratie

    Le fascisme, on peut le décrire comme le moyen pour la dictature d’émerger d’une démocratie
    C’est progressif et c’est discret fatalement. Aucun fasciste un brin efficace ne /commence/ par gueuler « ui bjr je suis fasciste »
    Non, il commence par te dire « tkt je suis démocrate

    Ya même des gens qui l’ont combattu en face, en y laissant des phalanges ou d’autres organes, qui ont laissé des manuels pour expliquer de quoi se méfier et comment combattre
    Les cahiers de prison de Gramsci ou les jours heureux du CNR sont assez édifiants

    Parce que vous savez leurs conclusions en commun, chacun de leurs côtés ?
    On combat le fascisme par la solidarité sociale
    Être dans la misère rend le fascisme séduisant, nous disent-ils. Que plus personne, alors, ne soit dans la misère. Économique, culturelle, affective.

Laisser un commentaire :

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.