Régulièrement, un engouement prend le Landerneau Twitteresque pour une appli proposant des filtres pour les selfies. Je ne suis que très rarement la tendance depuis que j’ai laissé tomber le community management et la com il y a quelques années. Et puis il y a quelques temps, je me suis pris au jeu. J’ai téléchargé l’appli du moment et j’ai testé les quelques filtres rigolos à la mode, j’ai pouffé de rire en mode, « ouais ok, ça casse pas trois pattes à un canard ». Et là, ma vie à basculé. Et je suis très sérieux.
J’ai entendu dire toute ma petite enfance que j’étais mignon. Et c’était vrai, je suis adorable sur les photos de maternelle. En primaire, j’ai commencé à savoir que je n’entrais pas dans les canons de beauté consensuelle parce que les autres me l’ont fait savoir de façon plus ou moins pleine de tact. Au collège et au lycée ce fut pire. Et je n’ai jamais eu une image positive de moi jusque très récemment où j’ai décidé sciemment de m’aimer tel que j’étais, en sachant que je ne plaisait clairement pas à la majorité et la meilleur photo me rend sympathique, mais sûrement pas séduisant.
J’ai fait une puberté un peu sur tard, je suis resté imberbe de chez imberbe jusque 30 ans et à presque 40 ans, j’ai une barbe de lycéen, clairsemée et mal dégrossie. Je suis en surpoids depuis une quinzaine d’années, j’ai traîné un état semi-dépressif sur a peu-près autant de temps et je soupçonne très sérieusement un taux de testostérone relativement bas de longue date, et l’idée m’a déjà trotté de faire un bilan hormonal, sans avoir jamais franchi le pas. Après tout, j’ai eu d’autres préoccupations plus terre à terre : retrouver un job, redevenir indépendant de mes proches, de mes amis, retrouver un semble de fonctionnalité et d’indépendance économique… Bref, ma « non virilitay » relative n’a jamais été une priorité dans ma vie.
Et puis, j’ai testé cette appli de filtre à selfie. Déjà, je ne prends pas beaucoup de selfies, parce que je n’aime pas me voir en photo particulièrement et que du coup je galère à rester naturel·le s’il faut poser, quand bien même je prends le cliché moi-même. Une fois passées en revue les 4 qu’il y a dans mon téléphone, j’ai choisi celle où je ne fais pas une tête de clown. Pas de bol, je ne souris pas franchement dessus, pire, j’ai le sourire un peu pincé. Je n’ai posté que très peu de photos de moi en ligne depuis 20 ans, en dehors de mes profils professionnels, et mon profil Fesse-Bouc ayant disparu, les tags où j’étais identifiés ne sont plus indexés sur Google. J’hésite. « Au pire, tu postes pas, ça changera pas de d’habitude. »
Et là, je clique sur ‘barbe hipster’. Et c’est le choc. Je me trouve adorable. Pire. Je me trouve canon comme jamais. (Enfin, pour autant que je puisse être canon. Faut pas rêver, je ressemble plus à Robert qu’à Redford, hein.), je teste un autre filtre qui me fait une barbe encore plus fournie. « OH PUNAISE. Mais c’est que je me roulerais presque des pelles ! » Le choc total. 40 années à ne pas me trouver attirant pour deux balles anéantis en un filtre, et pas celui qui te fait la gueule de Brad Pute, ou Tom Creuse ou George Clownesque, non, non, juste celui qui te colle une barbe toute basique sur la gueule. (cf. le menton en en-tête de billet.). Je ne suis pas certain que vous puissiez imaginer.
Je suis socialement identifié comme un homme au quotidien, mais quiconque me voit évoluer ou m’entends parler pendant 30 secondes, spotte qu’il y a un truc qui ne cadre pas avec la masculinité. Je suis un garçon par habitude, mais pas au fond de moi. Découverte en militant, l’identité non binaire a été une révélation. Une confirmation fait que je n’étais pas obligé de me tenir au code masculin, que je pouvais même en dévier carrément si je le souhaite. Je ne suis pas un garçon. Je ne suis pas une fille. Je navigue quelque part sur l’océan qui se trouve entre les deux. Le maquillage, ok, la jupe et les kilts, j’en ai envie mais je n’ai pas encore trouvé la tenue qui m’aille (au corps et à l’esprit), mais j’ai renoncé d’emblée aux talons : je me luxe déjà les chevilles avec des chaussures plates sur un sol plat, on va éviter de se rajouter du danger, hein. Alors forcément, me voir avec de la barbe et, surtout, me trouver canon comme jamais dans ma vie, c’est un choc.
Depuis que je suis jeune adulte, j’ai un rapport très particulier à la performance de genre. J’aurais voulu participer à un live du Rocky Horror à une époque et je me suis arrêté. J’ai eu très envie d’être Soeur à un moment, mais quelque chose m’a freiné, le drag m’attire carrément, as a performing art, mais je ne me sens pas légitime. Je sais pertinemment que je ne suis non binaire, mais je sais aussi pertinemment que mon expression de genre ne cadre pas avec la façon dont je la ressens. Mais alors pourquoi la barbe ? Homophobie intériorisée ? Non, s’il y a un truc avec lequel je suis à l’aise, c’est mon orientation sexuelle. C’est vraiment un truc plus compliqué entre ma non-binarité et mon expression de genre. Je sais que je suis aussi un peu envieu·x·se des personnes qui ont une expression genderqueer androgyne que des personnes qui ont une expression de genre marquée. Il y a un truc que je ne suis jamais arrivé à réconcilier avec moi même jusqu’ici.
Et si tout bonnement, à force d’être rejeté par la virilité (physiologiquement parlant, socialement parlant) j’avais fait un blocage pur et simple ? Et si j’avais jeté le bébé avec l’eau du bain ? Et si, pour accéder pleinement à ma non-binarité, plutôt que de faire une croix sur l’ensemble de ce qui est perçu comme viril, il fallait que j’en embrasse une partie ? Pire, que j’aille activement en chercher une part qui m’était resté inaccessible jusqu’ici, pour mieux m’éloigner du reste ensuite ? Mais alors quelle légitimité à me dire non-binaire ensuite auprès de mes adelphes, avec une barbe ? En fait, la même qu’avant, vu que mon envie de barbe va de paire avec toutes mes envies d’expression de genre, y compris féminines; de performance de genre aussi bien au sens Butlérien du terme, qu’au sens théâtral. Je m’aime avec une barbe comme je m’aime avec avec mon trait d’eye liner et mon rouge à lèvres les jours où je décide d’en mettre. Et clairement, je m’aimerais encore plus avec le deux. Enfin, les trois.
Tout cela me travaille depuis (mais autrement plus positivement que l’extrême-droitisation de la société). Comme j’avais envoyé ladite photo à The Duncan, mon compagnon de vie, qui m’aime comme je suis, petit, gros, sans forcément de genre marqué en particulier, et loin des canons de beauté usuels, j’ai su tout de suite que lui aussi elle l’interpelait. Clairement, il m’aime avec une barbe comme il m’aime avec du mascara et du rouge à lèvre. Confiant·e en moi. Du coup, on a rediscuté de mon identité de genre, de mon expression de genre et de mes interrogations physiologiques passées…
Le résultat ? Je pense que je vais le faire ce bilan hormonal. Déjà, pour avoir le coeur net sur cette question là. En fonction de ça on avisera, est-ce qu’il est pertinent de tenter un boost de testostérone ? Est qu’il faudrait envisager une solution de réimplantation (alors oui mais on pioche où ? parce que sur la tête, c’est nettement plus fin !) ? Est-ce qu’on renonce au projet barbe ? En tout cas, je vais étudier la question, parce que l’idée d’avoir une vraie beu-bar à peu près fournie, ça me titille au moins autant que celle de porter une jupe !
#NotABoy
#NotAGirl
#DammitJanet
Vive la barbe et les barbus alors !!! 😀