Ce billet aurait pu s’appeler 50 nuances de gris, mais je vais éviter de faire référence à un bouquin qui est à la littérature érotique et au SM, ce que Twilight est à la littérature vampirique. Hop ! Et paf ! Double tacle d’entrée de jeu. Leto premier sur la dénonciation de la littérature de bas étage.T’as vu ? Mais là n’est pas le sujet. Nan, aujourd’hui, c’est la polarisation des discussions qui m’intéresse. J’ai déjà parlé un peu là, d’un mécanisme de cette polarisation, chez les discriminé·e·s, et là, de ce qu’elle pose comme question quand au vivre ensemble.
Nous sommes en temps de crise. C’est le moins qu’on puisse dire. Crise économique, sociale, identitaire, sanitaire, climatique… Et l’attitude de nos dirigeants laisse à penser qu’ils sont soit :
A/ totalement à la ramasse sans aucune idée de ce qu’il faut faire,
B/ d’un cynisme complet parce que de toute façon la tune et le pouvoir leur permettront de s’offrir les moyens de s’en sortir,
C/ savent que de toute façon c’est foutu et font semblant de faire quelque chose,
D/ la réponse D.
J’hésite entre la A/ et la B/ ne pouvant me résoudre à la C/ (Je suis pas encore assez parano pour le complotisme). La D a ceci de rassurant qu’elle demeure vraie en toute circonstance. Et en ce moment c’est un peu ce que tout le monde cherche. Des positions définitives, des certitudes, des positions tranchées, des vérités toutes blanches ou toutes noires. Parce qu’en période trouble, on a besoin d’absolu, de repères.L’exemple type : la confiance au gouvernement, déjà pas folichonne, qui ne cesse de s’amoindrir dans cette crise parce que les mecs donnent des recommandation changeantes et contradictoires tous les jours, sans jamais les appliquer réellement eux-mêmes, sans jamais réfléchir plus loin qu’à demain.
Tout ça parce que ce sont des teubés intégraux de la communication de crise dont le premier commandement est la transparence… Et dire humblement « Nous ne savons pas » c’est un repère, dire « Nous n’avons pas de masques/pas la capacité de tester en masse alors il faut confiner/reconfiner en masse » c’est un repère. Mais non, au lieu de ça, on a un gouvernement de Pieds Nickelés et un président croquignolesque qui, comme en mars, lorsqu’il enjoignait les gens à sortir, alors qu’il fallait confiner, est en train de nous enjoindre à aller faire les journées du patrimoine, alors qu’on est à un stade de deuxième vague plus avancée que la première quand on a confiné… #Facepalm.
Mais je m’égare. La polarisation des débats. Nous avons besoin de repères et c’est ce qui nous pousse à vouloir des positions des informations tranchées. Parce que l’on a besoin de tracer des lignes dans le sable pour savoir où l’on se tient. Je sais où je me tiens. Du côté de la réduction des inégalités sociales, de l’éducation à l’autre, de la responsabilisation de toute personne dépositaire/représentante d’une autorité, d’un développement durable et contre le fascisme et la xénophobie. C’est bien beau tout ça, mais ça ne dit pas où se situent les lignes sur ces différents sujets. Et Le problème est là. Plus l’incertitude est grande, plus la tentation des démagos, populistes, xénophobes est grande. Et plus leur discours s’infiltre dans le débat public. Et moins les autres idées sont audibles. Selon le principe de la fenêtre d’Overton.
On a eu un combo, dernièrement entre Valeurs Actuelles (valeurs d’un autre âge, ouais) qui dépeint pépouze la députée noire Danielle Obono en esclave, une chroniqueuse du Figaro qui associe au terrorisme intégriste les vidéos culinaires d’une étudiante musulmane, et se victimise quand elle s’en prend plein la gueule, jusqu’à recevoir le soutien de Gérald Darmanin (qui n’a pas un mot pour l’étudiante, qui s’est pris whatmille fois pire dans la gueule au point qu’elle a supprimé son compte Twitter), ce même ministre de l’intérieur qui interdit l’aide alimentaire aux migrants, parce que rien à foutre de la dignité de la personne humaine, après tout. Ah et puis il y a eu cette députée idiote qui clairement ne bite rien à la laïcité républicaine, qui au prétexte de féminisme voudrait que les femmes voilées n’aient pas droit au chapitre (même quand ledit voile n’est pas le sujet). Bordel, tout ça en l’espace de 10 jours. Et j’ai dû en zapper deux ou trois autres…
Alors, je suis très pour les 50 nuances de gris en matière de réflexion. Je comprends totalement le hashtag #ACAB mais pour autant, je trouve qu’il ne propose rien et que les personnes qui l’utilisent ont, à quelques exceptions près, une vision très limitée du principe de vivre en société et de la fonction policière (en même temps vu ce que nos gouvernants en font depuis 15 ans, ça ne m’étonne pas, ce sont eux qui les premiers ont limité la vision de la fonction policière). Je comprends totalement le hashtag #AllMenAreTrash mais je trouve qu’il est devenu une excuse pour ne pas participer individuellement à l’effort d’éducation collective… Et oui, dire « Désolé, je n’ai pas l’énergie pour avoir cette discussion là, là, tout de suite » ou « Okay, ce n’est ni le lieu, ni le moment pour ce type de conversation » ou « J’ai déjà donné mon temps imparti sur ce sujet aujourd’hui »* me paraissent des alternatives plus acceptables et plus pédagogues.
Je comprends pleinement qu’on ne puisse pas éduquer tout le temps et qu’à l’heure d’Internet, on a l’impression que tout le monde pourrait spontanément songer à s’éduquer. Mais le soucis d’Internet c’est aussi que si vous laissez quelqu’un s’éduquer de son propre chef en ligne, voici ce qu’il est le plus probable qu’il arrive : la personne va chercher à s’informer via son cercle d’amis qui partagent généralement ses opinions mal dégrossies, finir sur des forums de gens qui ne connaissent tellement rien au sujet qu’ils finissent par trouver indignent qu’on leur demande de s’éduquer sur un truc qui ne les concerne même pas, que les concernés sont vraiment des fascistes qui cherchent à imposer leur vision et que de toute façon, c’est un complot pédo-satanique maçonnique (AH JE SAVAIS BIEN QUE J’AVAIS OUBLIE DE MENTIONNER UN DES FACEPALMS DE CES DERNIERS JOURS !!). Et si par chance, la personne qu’on a envoyé s’éduquer toute seul tombe sur un support bien fait, on est même pas certain qu’elle intègre l’info. Parce que l’éducation, c’est répéter, répéter, répéter, répéter, répéter, comme le dit toujours Judith quand on la lance sur le sujet.
Le problème c’est qu’en ce moment, les seuls propos qui sont répétés, répétés, répétés, répétés, répétés, répétés, répétés, répétés, ce sont les propos d’Eric Zemmour, de Pascal Praud, de Elisabeth Levy, de Gérald Darmanin, de Valeurs Actuelles. Et ça va grandissant. Des personnes qu’on aurait autrefois circonscrits à Rivarol, Minute ou sur Radio Courtoisie, prennent le micro 122 fois par jours sur BFM et CNews et répètent à l’envi des trucs totalement abjects et tout le monde semble anesthésié. Le pire c’est que leur rhétorique à totalement contaminé ce qui se voulait le centre de l’échiquier politique (LaREM, Modem) que je trouvais déjà de centre droit, mais qui dépasse désormais allègrement « le bruit et l’odeur » de Chirac dans les années 80, le PS qui n’a plus de socialiste que le nom, EELV qui retombe dans le problème du mouvement écolo qui a trop vouloir être uni autour de l’écologie oublie les sujets sociaux et laisse un Yannick Jadot dire que le burkini, n’a pas sa place à la piscine (alors que le seul truc qui n’a pas sa place à la piscine c’est le prêche, le burkini, c’est comme la chaîne avec une croix en pendentif, si tu veux nager avec, vas-y). Et l’extrême gauche, je l’ai déjà dit là, est incapable de se sortir de postures et d’égos boursouflés. Somebody please slap Jean-Luc, Raquel, Alexis et même Adrien, (oui, oui, il a fortement baissé dans mon estime cet été), dans la face avec un grosse truite !
Plus que la polarisation des débats, c’est la question de la ligne de position qui m’intéresse, celle qu’on trace dans le sable. Où la place-t-on ? Comment on tire les gens de son côté sans mettre en péril sa santé mentale ? Comment on éloigne et sort le débat de la xénophobie ? Comment on apprivoise l’incertitude actuelle chez l’autre pour lui faire entendre raison ? Comment on tire la fenêtre d’Overton de notre côté ?
Et un des éléments de réponse de la semaine m’est venu avec le départ de Jean-Pierre Pernaut du 13 de TF1. Soyons clair, je n’aime pas Jean-Pierre Pernaut, c’est un réactionnaire de base, et son propos est un archétype du patriarcat blanc masculiniste, pour moi, ce monsieur est la fRance incarnée et un des instruments, sinon un des responsables, du glissement médiatique toujours plus à droite depuis trente ans. Mais il a parfaitement réussi son truc. Il est sur une chaîne conservatrice, donc déjà, les reportages vont toujours présenter la gauche avec un petit côté : « pendant ce temps là chez nos voisins d’outre Quiévrain ». Il parsème depuis 30 ans sont discours de clichés et stéréotypes (sexistes, racisants, hétéronormatifs etc.) et propose systématiquement un reportage feel good en fin de journal (toujours orienté tradition ou marronnier, on est sur TF1). Et hop premier journal de France. Et quand le mec tiens des propos sexistes : « Boah, c’est JP, il est con, mais il est sympa », et quand il censure les interviews de personnes racisées, on argue que « oui mais elles ont été diffusées au 20h » certes, certes, et je ne cite que des cas récents… Tout ça, en soft power, one day at a time. Pendant 30 ans. JPP c’est le coureur de fond de la droite tradi.
Mais nous l’avons aussi perdue dans les actes. Mon meilleur exemple, c’est qu’une des meilleures idées d’entraide LGBTQI des 2020 dernières années soient venues de deux pédés de droite, pas du tout militants mais du coup, pas du tout rencardés sur les enjeux politiques de nos luttes, sur l’accompagnement des personnes en matière d’identité de genre, sur les questions de santé sexuelle ou d’addicto… Et du coup je saigne des yeux à chaque communiqué de l’association sur des sujets qu’elle ne maîtrise pas… Oui, je parle du Refuge. Idée du siècle, exécution terrible. Comment personne à gauche de nos militance n’a jamais monté un tel projet ?
On a une gauche militante, militante, des actions de vocifération (et alors sur les réseaux n’en parlons pas), mais peu de réalisation ou alors sur des trucs très baba-hippies ou anar, qui cassent pas trois pattes à un canard et finissent en eau de boudin parce que les gens découvrent que monter un projet collectif ça implique d’avoir le dos large, de supporter la contradiction, les dialogues longs, d’être organisé et de se bouger le cul. Et d’arrêter de vautrer devant des séries en ligne et de gueuler sur les réseaux sociaux. Deux ans après Facebook, je songe de plus en plus à arrêter Twitter. Mais si je n’y suis plus, vous ne viendrez plus me lire ici. Oh wait. Vous êtes douze, ça changera pas grand chose. J’ai des envie de retour sur le terrain, mais je n’ai ni la forme, ni le fond, ni les fonds. Mais l’avenir de gauche est ailleurs.
Amis militants de gauche, on rate un truc clairement depuis 2001, pour que ça soit AUTANT parti en cacahuète et ça tient à la fois du soft power médiatique, à l’action de terrain indirectement militante, à l’action de terrain directement militante qu’aux discours politiques complètement pétés. Et pendant ce temps là, la fenêtre d’Overton continue de pousser toujours plus à droite.
J’ai l’impression de me répéter avec mes articles précédents, mais en même temps, n’ai-je pas dit plus haut que c’était la base de l’éducation ? Hin, hin, hin, Il faut qu’on trouve le moyen de la décaler dans l’autre sens. Et au final n’est pas tant de tracer une ligne dans le sable pour répartir les gens d’un côté ou de l’autre qui importe, car ça ne conduit qu’à polariser le débat. C’est trouver une ligne de conduite à suivre et s’y tenir, comme un câble tendu au dessus du vide intersidérale de xénophobie et espérer qu’on va arriver à tirer les autres avec nous de l’autre côté du précipice. Walking the tight rope. Ain’t gonna be easy.
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