Matoo poste depuis un moment une série de billets sur une idée de DrCaso et dimanche, il en était au jour 22 : des gens qu’on a aimés et qui ne nous aimaient pas en retour. En lisant cette phrase, j’ai immédiatement pensé à Louis*.
Louis, c’est mon premier. Mon premier tout. Ou presque. Premier mec, premier plan pipe, première relation longue, ma première relation toxique, premier amour, premier échec amoureux, premier ex. J’étais sans doute son premier aussi, concernant les mecs, la pipe, la relation longue et la relation toxique, pour le reste, je n’ai sans doute pas voix au chapitre de son côté.
Louis fait partie de ces garçons consensuellement considéré comme un canon, tout en étant absolument pas un archétype de la virilité. Et pourtant, moi qui n’avait d’yeux, et de concupiscence, à l’époque, que pour les gyms queens bodybuildées façon Chippendale, ou boys band, ou les rockeurs façon Slash ou James Hetfield, j’ai su en l’apercevant en qu’il faudrait qu’il soit vraiment un très gros con, pour que je le déteste, tellement il m’était doux à l’oeil. J’aimais son petit côté premier de la classe, son côté grand et mince, ses fringues bariolées, son sourire à tomber par terre…
Tout s’est noué entre nous pendant les grèves de l’hiver 1995 contre les réformes Juppé. Seule une poignée de profs maintenaient leurs cours, seule une partie des élèves étaient présents, et même à l’internat, certains soir, la présence des surveillants était en pointillés. De fait, nous n’étions plus que Louis et moi, dans une chambrée usuellement de 3. Un soir, alors qu’on discutait d’un lit à l’autre, comme tous les soirs avant de pioncer, l’un de nous à commencé à vanner l’autre, et j’ai fini par sortir le truc dont je savais qu’il allait le faire réagir au quart de tour : insinuer qu’il était fan de rap en général et d’Alliance Ethnik en particulier.
Effectivement, en moins de 10 secondes, nous voilà à lutter amicalement, certes, mais vigoureusement sur mon lit. De toute façon, je lutte inutilement, il est plus grand, plus fort que moi, le geek gringalet avec des muscles en mousses et des bras en coton-tiges. Il est sur moi, ça m’excite un brin, et en même temps ça me stresse, parce que je redoute sa réaction, si j’ai une érection inopinée. D’autant que j’ai déjà une demi-molle, bordel. Je le chatouille pour faire diversion, récupérer un peu de marge de manœuvre pour me mettre à plat ventre et déclarer forfait. Louis perd ses appuis et s’affale à moitié sur moi et je constate que si j’ai clairement plus qu’une demi-molle là… Je ne suis pas le seul.
Je joue la carte de l’innocence surjouée en posant la main dessus « Mais qu’est ce que c’est que ça ? » la suite du dialogue importe peu. Je joue ce soir là pour la première fois avec le service trois pièces d’un autre. L’inverse n’est pas vrai, d’ailleurs, et ça restera comme ça pendant toute notre relation. Ce qui lui permettra sans doute de ne pas se considérer un instant comme pédé ni même bi, selon le vieil adage des forums Jeux-Videos.com : « Tant que tes sourcils ne touchent pas ses couilles, c’est pas gay. » (Je caricature. A peine.).
Tout cela va durer jusqu’à la fin de notre année de première, étant les deux seuls de notre piaule à arriver le dimanche soir, cela nous laisse un soir de libre, dans la chambre, ou sous une des douches, qui ferment. Et parfois même en semaine, dans ce dernier cas. Ce qui était totalement inconscient, avec le recul, tellement on aurait pu se faire gauler. C’est généralement moi qui initie le rapport, même s’il y a eu quelques exceptions. Dans les douches, justement.
Il a été convenu dès le premier soir, on ne s’embrasse pas, et on en parle à personne. Sauf que je découvre assez vite que personne ça nous inclue aussi, tous les deux. Comme ça me travaille un peu, pas ma relation avec lui en tant que tel, mais mon attirance pour les garçons, dont je parle à ma meilleure amie de l’époque, je finis aussi par lui parler de ma relation avec Louis qui dure déjà depuis plus d’un an. Et puis, un soir, alors que nous parlons ensemble, Gaëlle*, une copine de classe et d’internat, s’incruste à la conversation et bien que nous parlions à mots couvert, elle fait assez rapidement deux plus deux.
Et c’est là que le bat blesse, forcément. Je suis fautif d’en avoir parlé, certes, mais, ma meilleure amie est une tombe. Gaëlle, l’autre copine, qui l’a appris un peu par un concours de circonstance, pas vraiment. Et alors qu’on se retrouve Louis et moi, dans un petit groupe social récurrent, elle en parle entre quatre yeux, au principal intéressé, qui nie en bloc, forcément. amis à partir de là, le ver est dans le fruit. Déterminée à en avoir le fin mot, elle en parle à d’autres personnes dans le groupe. A la fin de l’été 97, la situation me pète à la gueule. Carole*, la copine de Louis, rencontrée au cour de l’été, avec qui je m’entends très bien, me pose clairement la question : « Est ce que tu as réellement couché avec Louis ? » je lui donne une indication anatomique précise…
Elle blanchi un instant avant de se ressaisir : « Bon au moins je sais qui dit de la merde, et c’est pas toi ». Elle se demande si elle doit en parler avec lui. Je lui dis d’attendre que ça vienne de lui, et que si ça ne vient jamais, après tout, ça ne change rien entre eux. Il est hétéro point. Tout au plus bi par accident : il avait une libido, moi aussi, j’étais un exutoire. Et de toute façon, ça n’arrivera plus, d’une part parce qu’ils sont ensemble et que je me doutais bien qu’il finirait par avoir une nana, et d’autre part, parce que je ne serai plus interne l’année suivante, coupant court à nos scénarios usuels de baise furtive à l’internat.
Carole se tait, donc. Mais Gaëlle continue à étaler la merde. Au point que notre petite bande ne bruisse plus que de ça. Pendant les vacances de la Toussaint 1997, Louis et moi avons notre première et dernière discussion sur le sujet en deux ans. Il évite soigneusement d’évoquer ce qui s’est passé entre nous et se focalise uniquement sur son objectif : en finir au plus vite avec le bordel présent. Et pour cela il ne me laisse que deux alternatives : ou je dis que j’ai menti, et il consent à continuer à me parler, ou je ne reviens pas sur le fait d’avoir parlé et nous ne sommes plus amis. Dans les deux cas, je passe pour un mythomane pour tous ceux qui ont eu vent de la situation, mais dans un je chie sur ma dignité et mon amour-propre, et dans l’autre, je les garde intacts. Charité bien ordonnée commence par soi-même, mon choix est vite fait. Louis accuse réception : « Ok. On n’a plus rien à se dire », avant de raccrocher. Et moi je me met à chialer comme jamais, en réalisant qu’il était mon premier.
Les semaines suivantes sont étranges à bien des points. Déjà parce que pour tous ceux qui nous ont côtoyés au quotidien depuis deux ans constate que Louis m’ignore de manière aussi soudaine qu’absolue. Et forcément, ça les interroge. Et forcément, comme Louis refuse de parler, ils vont chercher leurs sources ailleurs. En ce qui me concerne, il n’est pas question que je nie quoi que ce soit qui soit vrai. Par contre, s’il ne veut pas en parler, c’est son choix et j’enjoins tout le monde à respecter ça. Je n’en parlerais pas non plus à sa place. Et autant, je n’en ai rien à battre, qu’on m’en parle, autant, Louis s’en irrite, clairement. C’est sans doute ce qui va en décider plus d’un à revoir leur copie sur notre soudaine fin d’amitié et qui va me permettre de traverser l’année du bac avec un tout nouveau groupe de fréquentations.
Quelques années plus tard, je croiserai, par hasard, Carole aux Vieilles Charrues, avec son mec, des potes… et Louis. Il m’ignorera superbement et totalement pendant la vingtaine de minute que nous passerons pourtant à moins d’un mètre de l’autre. Je ne l’ai jamais jugé pour ça. J’ai toujours eu conscience d’à quel point on s’est brûlés au contact l’un de l’autre,et lui, bien plus que moi, clairement. Il s’exilera loin de la France métropolitaine, pour le boulot, un an plus tard. En 2020, il fait partie des rares personnes dont je ne trouve aucune trace en ligne, en dehors d’un profil « copains d’avant » qui s’arrête justement, avec cet exil, à l’autre bout du monde. Et après. Rien. Nulle part.
Le 21 juin me fait penser à lui, une fois par an. Parce que c’est à la fois son anniversaire et sa fête. Et là, ça été le billet de Matoo. Où qu’il soit, j’espère qu’il est en paix et qu’il ne souffre pas.

*Les prénoms dans ce texte ont été changés. Le 21 juin n’en demeure pas moins la date à laquelle je pense à Louis, chaque année. Et si la photo d’illustration ne fait pas sens pour vous, pour moi, oui, et pour Louis également. Et c’est bien tout ce qui compte.
Ils sont importants ces gens là, on en a tous rencontrés, et plus si affinités, je crois. ^^
Après, je comprends totalement sa réaction, en parlant de nous, même à ma meilleure copine qui n’en a jamais fait commérage, je lui ai volé son récit de lui-même. Et vu l’ampleur que ça a pris…
Je ne regretterai jamais de m’être choisi moi, hein, mais je regretterai toujours d’avoir eu à le faire contre lui au final.