Blogtober 2021 – Day 17 : percuter

Il y a un peu plus de 20 ans, ma mère m’avait filé le numéro du fils d’une amie à elle, étudiant à Brest, tout comme moi, et habitant à deux pas de chez moi, pour que nous fassions ensemble dans ma voiture, le trajet entre Brest Quimper, le vendredi soir, pour rentrer chez nos parents respectif, lui à Quimper, et moi un peu plus loin.

J’avais fait mon coming out à ma mère des années auparavant, et elle jugea bon de me glisser que des discussions qu’elle avait eu avec son amie, le fils en question « se cherchait », histoire que j’en fasse ce que j’avais à en faire. Bref, j’avais moyen de moyenner a priori.

J’ai donc téléphoné à Marc. pour fixer une heure de rendez-vous le vendredi suivant, et je suis passé chez lui le récupérer à l’heure dite. Physiquement, ça le faisait carrément, quand bien même il ne rentrait pas vraiment, voire vraiment pas, dans les cases de mon stéréotype idéal de l’époque, même avec une coquetterie, non dans l’oeil, mais dans une paupière tressautante, toute à fait attendrissante.

Accessoirement, à 19 ans, je me savais excessivement horny, « Oh horny, horny, horny, horny ! So horny, horny, horny, horny tonight ». All the fucking time. Sauf que c’était le fils d’une copine de ma mère et quelque part dans ma tête, c’était un peu un territoire interdit. Je m’explique : out auprès de mes parents depuis un moment, il y avait avec eux un accord tacite : je n’étais pas activement ni supposément homosexuel dans un rayon géographique raisonnable et ça n’était l’affaire de personne dans leurs amis, encore moins les proches de leurs amis.  Bref, au cours de ce premier voyage, on a fait la conversation de façon très banale, j’ai évité de parler de moi et on a surtout parler de lui, de ses études d’histoire et de musique, de natation, et de moult chose, au point que j’ai raté les sorties Quimper et ai du faire demi tour 15 bornes plus loin. Acte manqué n°1.

Sauf que mon appartement brestois, lui, n’était pas dans la « zone d’exclusion » de ma vie privée par respect pour les parents, et sans être une antenne de Tataland, vu que j’étais fraîchement débarqué de ma campagne à la ville, il y traînait quelques numéros de Têtu dans un coin, rien de très affriolant, hein, mais pour l’époque, c’était déjà énorme. Rapide rappel du contexte pour les moins de 20 ans :  ça ne faisait que quelques années qu’on voyait des homosexuels témoigner chez Jean Luc Delarue, parfois à visage découvert, mais le plus souvent masqués, et la moitié du temps dans des émissions à thématique liée au VIH, les trithérapies étaient un espoir encore tout neuf, la série Queer as Folk, l’originale, la british, était sortie même pas un an auparavant chez les rosbifs et avait eu droit à une diffusion uniquement sur Canal+ et Christine Boutin brandissait sa bible à l’Assemblée contre le PACS en discussion… Bref, j’étais out pour mes proches et mes potes, mais discret. Jusqu’à ce que je cause, un truc qui n’a pas vraiment changé, même si je suis moins discret au quotidien.

Bref, au fil des vendredis, le trajet était rallongé une fois sur deux -actes manqués n°2 – 3 -…- à causes de nos conversations qui nous faisaient perdre de vue les panneaux, et surtout à cause de la tension sexuelle qui montait grave, en ce qui me concernait. J’en étais même venus à penser à lui dans mes moment d’égarement intimes. Notamment pour éviter de penser trop à tenter quoi que ce soit, vu qu’il n’avait pas l’air plus intéressé que ça. Clairement ma mère avait mal lu entre les lignes de ce que lui disait sa copine au sujet de son rejeton. Bon, il était sympa sinon, et j’ai jamais rien eu contre le fait de rencontrer des gens sympas dans la vie.

Forcément, je ne suis pas toujours allé le chercher chez lui, et au bout de quelques temps, il y a eu un vendredi ou M. est monté jusqu’à mon appartement, le temps que je termine mon sac avant de partir. Et pendant que je bourrais mon linge sale dans le sac, il me faisait la conversation, toujours avec sa paupière tressautante.  J’avais pas du tout calculé que mes exemplaires de Têtu traînaient à leur place usuelle. Bref, mon sac fermé, on s’est taillés en voiture. Mais il avait vu les magazines et le sujet est venu pendant le trajet. Je n’ai pas pilé quand il m’a posé la question de savoir si j’étais gay. J’ai expliqué posément, que je l’avais toujours su, mais que jusque là en dehors de mon histoire avec Louis, qui avait tourné en eau de boudin, rien de très concret. Lui m’avait félicité d’en parler aussi facilement, signalant que ça ne le dérangeait pas outre mesure, dans la musique, il y en avait pas mal. Tout au soulagement de ne pas subir de rejet, je n’ai même pas eu la présence d’esprit de lui retourner la question. Et nos échanges usuels avaient repris comme si de rien n’était. Enfin presque.

Après cela, le sujet n’était jamais revenu sur le tapis. Et à la réflexion, il m’était apparu clair que Marc n’était pas gay parce qu’au vu des circonstances -je lui avais quand même dévoilé le truc le plus iconoclaste à mon sujet, après tout-, il me semblait que s’il avait eu quelque chose d’aussi important à confier à quelqu’un, il l’aurait fait, soit par politesse, soit parce que se sachant suffisamment en sécurité pour m’en parler, moi un autre concerné (et je dis un en parlant de moi parce qu’à l’époque je m’identifiais bien comme garçon). Bref, s’il ne l’avait pas fait, ça n’avait rien à faire avec le fait que je n’ai pas posé la question, mais clairement avec le fait qu’il n’était sans doute pas concerné. Bref, après lui avoir fait mon coming out, j’avais fini par le classer dans la catégorie des hétéros à l’aise avec ça. Et sa virilité toute soft, au delà de son physique avantageux, c’était juste parce qu’il était musicien, bref, c’était part de sa sensibilité artistique. Bref, un hétéro sensible, pas dégueue, avec un paupière tressautante. Fuck my life. Next.

On a donc continués nos trajets certains vendredis (d’autres fois je ramenais d’autres copains et copines), toujours à rallonge. Et parfois je lui racontais en route mes dernières pérégrination homosexuelles (ex : « j’ai été boire un verre dans le seul bar pédé de Brest. Toutes les vieilles m’ont regardé comme un steack tartare, surtout la proprio » « J’ai eu des relations sexuelles avec le même mec qu’une copine » faudra que je vous le raconte, une jours ça…). Et à chaque fois, il m’écoutait mort de rire, avec sa paupière tressautante.

Et puis l’été est venu. Je n’ai pas appelé Marc comme je m’étais dit que je le ferais quand je passais sur Quimper. Et l’année d’après j’avais changé de formation, d’appartement, et je ne rentrais plus systématiquement le week-end vu que j’avais une copine chez qui faire mes lessives et squatter l’Internet. Et je l’ai perdu de vue, lui. Sans vraiment de regret. Après tout, il était hétéro, et je m’étais promis depuis le Lyée de ne plus jamais m’accrocher à un hétéro. Did happen a few times though. Even then after.

Deux ans plus tard, au détour de mondanités parentales, je me retrouve à discuter avec sa mère, auprès de qui je m’étonne que M. ne soit pas là, ayant glâné auprès de la mienne, de mère, qu’il avait été invité aussi. « Oh tu sais, il vit à Paris maintenant et il ne rentre que très peu à Quimper. » Je lui dis de transmettre mon bonjour, parce que que c’était quelqu’un que j’appréciais dans mes connaissances étudiantes, avec son air rêveur et sa paupière tressautante. « Sa paupière tressautante ? » s’est-elle étonnée. J’ai donné des explication embrouillées à base de manque de magnésium et autres, sous son regard perplexe. N’importe qui l’eût été à moins.

De mon côté, j’ai soudainement compris que tout ce temps, ce garçon, à l’endroit duquel j’avais eu moult pensées tout à fait concupiscentes, et pas que son endroit,  loin de toute coquetterie blépharo-musculaire, m’avait fait de l’oeil, au sens propre, tout ce temps, sans que, tout auto-centré que j’étais, je ne percute quoi que ce fût…

 

Epilogue :

Je l’ai aperçu, des années après, lorsque j’ai habité à Paris à mon tour, d’un quai de métro à l’autre. Lui ne m’a pas vu. Il semblait très amoureux de son compagnon, et très heureux. Je n’ai jamais retrouvé sa trace en ligne, la faute à un nom de famille et un prénom d’une banalité absolue en Bretagne et dans la diaspora bretonne, qui le rendent aussi invisible à la recherche en ligne qu’un descendant de Siona à la préscience d’un Kwisatz-Haderach. Feuque.

Et sinon je suis toujours bloqué à la publication sur Twitter, donc vas-y, lecteur, si t’as aimé ce billet, partage, partage !

3 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. Matoo dit :

    Oooh c’est une chouette histoire. J’aurais aimé que ça devienne une histoire d’amour suite à une rencontre vingt ans plus tard dans le métro ! Mais bon, tant pis. 😀

    1. Leto dit :

      Oh je pense qu’on était pas fait l’un pour l’autre du tout. Si on s’était mangé la bouche à 20 ans, on aurait sans doute pas duré, parce qu’on était « the only gay in the village » dans nos vies perso et c’est jamais un bon prétexte pour une relation de sortir avec le seul autre pédé de ton entourage immédiat juste parce qu’il est le seul présent lol XD
      Je réalise qu’en lui changeant de prénom, (as usual quand je parle de gens que j’ai connu, appréciés, aimé, été attirés par, ou dont je veux préserver l’anonymat pour quelque raison que ce soit), je lui ai collé comme prénom putatif celui de mon beau-père (Le père du Duncan donc) qui peut pas me blairer, MOUHAHAHAHAHAHAHA. Tant pis XD

      1. Matoo dit :

        Ahah. J’ai re-rencontré un ami d’enfance (c’était un copain d’école de ma cousine en primaire) sur Paris quand j’avais 25 ans. On est carrément tombé dans les bras l’un de l’autre, fous de désirs réprimés et de souvenirs. Huhuhu. En effet, ça n’a pas duré. Mais ça avait bien valu le coup. 😀

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