Quand j’étais au collège, et qu’il a été évoqué pour la première fois dans ma vie le sujet de la Guerre Froide en cours d’histoire, la prof d’histoire expliquait les techniques des camps capitalistes et des camps soviétiques pour faire passer dans leur sphère d’influence les différents pays du monde qui présentaient pour eux un intérêt stratégique. Outre la propagande autour de la doctrine de chaque bloc, dans le cas du bloc soviétique, elle mettait en avant l’utilisation particulièrement efficace de deux techniques : la technique du noyautage (qui me fait penser à des olives, alors qu’elles, on les dénoyaute, mon cerveau et ses associations à la cons, hein) et celle du salami.
Le noyautage, c’est le fait de faire rentrer des membres d’une organisation dans une organisation concurrente, idéologiquement proche (mais pas exactement), pour décaler progressivement la fenêtre d’Overton des membres de cette organisation et de ses publics cibles vers les idées de l’organisation infiltrante. D’autres parlerons d’entrisme ou de technique du Cheval de Troie. Ce sont effectivement des équivalents.
La tactique du salami, c’est celle qui consiste, en paralèlle, à écarter des sphères de pouvoir et d’influence tous les courants, toutes les institutions, toute les catégories sociales, qui ne vont pas dans le sens des idées que l’on défend, et ce par tous les moyens à disposition, et c’est une technique qui peut se mettre en place au sein d’un parti, d’une corporation, d’une classe sociale, d’âge, de culte etc. L’exemple régulièrement donné étant celui de la Hongrie entre 46 et 49, compris sur Wikipédia. Une forme d’épuration idéologique.
Et quand on vous l’explique au collège, vous avez la sensation d’avoir compris le fonctionnement de ces mécanismes. Et vous avez l’impression que si ils étaient à l’oeuvre autour de vous, vous le verriez. Mais c’est là que réside leur efficacité : si la volonté derrière ces mécanismes est bien réelle, leur progression, elle, est insidieuse.
Lorsque le Front National est fondé par des fascistes et néo-fascistes notoires, il a comme intérêt pratique d’être clairement identifié comme d’extrême droite. Son leader est particulièrement antipathique, avec un discours public clairement rance et hargneux envers tout ce qui n’est pas blanc, catholique, hétéropatriarcalement normé. Le souvenir de la guerre contre le nazisme est encore bien vivant dans les esprit, le parti est un rappel que la bête immonde est toujours tapie dans un coin. Une partie de la droite catholique intégriste ne s’y rallie pas, mais ne prend ni position pour ni position contre. Opportunisme politique : le reste de l’échiquier en fait un épouvantail, plutôt que de travailler réellement et fermement à rendre illégale la propagation de telles idées.
Devenu un épouvantail, la conquête politique directe via le suffrage est impossible. Il faut utiliser des moyens détournés pour progresser. Et si, clairement, la dédiabolisation voulue par Marine a contribué largement à accroître la porosité avec la droite catho ultra conservatrice d’abord (De Villiers, Boutin et approchants) et, ensuite, la droite dite « de gouvernement » (RPR/UDF puis UMP puis LR), je ne peux m’empêcher de me poser la question du noyautage actif de la droite par l’extrême droite depuis les années 2000, en réaction à l’ère Chirac, qui, après l’errement du « bruit et l’odeur » de sa jeunesse, avait compris, devenu président, qu’il fallait « Ne compose[r] jamais avec l’extrémisme, le racisme, l’antisémitisme ou le rejet de l’autre. Dans notre histoire, l’extrémisme a déjà failli nous conduire à l’abîme. C’est un poison. Il divise. Il pervertit, il détruit. Tout dans l’âme de la France dit non à l’extrémisme ».
Mais du coup, je me pose sérieusement la question d’une stratégie active de noyautage de la droite politique française par l’extrême droite, depuis 2002 (ou avant ?), directement dans les partis (avec des gens comme Guillaume Peltier, ou à travers des mouvements annexes qui disent plus (Bloc Identitaire, Génération Identitaire…) ou moins (Egalité et Réconciliation, SOS Chrétiens d’Orient…) sans s’affilier directement à l’extrême droite) et ou vont se mélanger allègrement et discrètement des affiliés du FN et des affilité du MPF, de l’UMP depuis tout ce temps. Et je ne parle même pas de l’hypothèse d’un noyautage au delà de la droite Et pas forcément par l’extrême droite, du coup.
Après, la gauche -tant qu’elle ne se pose pas la question de comment envisager l’universalisme autrement qu’en partant la « norme » culturelle Française (qui demeure, hélas, blanche, hétéro et d’héritage judéo-chrétienne) en étant aveugle à tout ce qui n’y rentre pas, au lieu de l’envisager comme la prise en compte permanente de la diversité pour établir la norme culturelle française à venir- est vouée à se diviser toute seule sur l’écueil de sa propre diversité (alors la droite n’a pas beaucoup de travail à faire de ce côté là, du coup le noyautage devient une perte de temps).
Une chose dont je suis certain, par contre, c’est que la droite bourgeoise réacs, elle, n’a jamais eu de cesse d’appliquer la technique du salami. Le fléau Bolloré en est un exemple parfait et complet : le mec travaille à étouffer/épurer toute réflexion de gauche dans la sphère politico-médiatique depuis 20 ans et toute reflexion -tout court.-. Et l’impact des médias étant ce qu’il est aujourd’hui, sa stratégie de manipulation de masse est particulièrement efficace (en restant somme toute plus classique qu’un Facebook/Cambridge Analytica. Dont il a sans doute aussi su profiter, ceci-dit).
Pire la façon dont fonctionne notre système politique entretien en plus ce genre d’attitude (épuration, tranche par tranche et concentration en groupe homogènes). Le réseautage, le copinage y sont essentiels pour progresser. Un truc que la gauche politique, plus elle est effectivement de gauche, a du mal à faire (parce que ça va à l’encontre de ses convictions d’équité, de démocracie, et de légitimité à parler/agir/intervenir en fonction de la position d’où on s’exprime…
A une époque, comme elle sortait en boîte et qu’elle avait des copains pédés, j’espérais vaguement que Marine Le Pen désavouerait non seulement le père, mais aussi tout son héritage politique en réaction et qu’elle se révèlerait en transfuge, éventuellement lesbienne, de gauche chez les fachos (oui, j’étais jeune, naïf et dramaqueen). Mais ça aurait demandé une réflexion personnelle, une indépendance vis à vis de papa, et une intelligence qu’elle n’a jamais eu.
Aujourd’hui j’ai l’intime conviction que c’est l’inverse qui se produit depuis 2002 : des mini-fachosont essaimé un peu partout dans la sphère politico-médiatique (au prétexte d’être « pragmatiques » « réalistes » vs une gauche qui ne serait que dans des idéaux sans jamais se poser pour réfléchir sur le chemin à parcourir et comment le parcourir. Ils ont noyauté et divisé un peut partout, plus ou moins discrètement et renforcé la position sociale, politique et économique de leur camp, pour répandre leur discours puant. Et l’idiocracie (sur laquelle ils comptaient), à fait le reste.
Si complot permanent il y a, il ne vient jamais de la gauche politique, perpétuellement rongée par les schismes entre universalites égalitaires aveugles à la diversité et universalistes équitaires inclusifs et entre socialo-capitalistes et communo-anar-altermondialistes. S’il y a un complot permament (et je ne suis pas certain que le phénomène, soit aussi concerté que la notion de complot l’implique, mais ce sont peut-être des restes de ma naïveté juvénile), c’est de la droite bourgeoise, réac envers tout ceux qui ne lui reviennent pas, celui d’un groupe relativement cohérent pour garder réparti entre eux le pouvoir économique, social, politique, culturel et environnemental. En gros, ce qui fait, et pas juste une nation (qui inclue aussi une dimension spatiale), une société.
Je me suis inscrit sur les listes électorales de Vannes cette semaine. Moi, gauchiasse invétérée, je vais désormais voter dans une ville de droite alors que jusq’ici j’avais toujours habité à gauche ou au centre gauche, dammit. On a pas le cul sorti des ronces. Et sinon, il faut que je change de boulot. Bosser moins. retrouver un rythme régulier. Si possible pour gagner plus mais je ne rêve pas trop. J’ai besoin d’avoir des activités de gauchiste ici.
Désolé pour cet énième billet un peu bordélique, qui n’apporte rien sur le sujet, certes, juste que ça me travaille. Toujours. Inlassablement. Et je me sens impuissant·e. Sauf à avoir un lance-flamme et carte blanche sur qui cramer, mais alors je ne vaudrais pas mieux qu’eux. Bref… A plus tard, les loulous.
En attendant. Eat the rich. With olive, salami and french baguette preferably.