La semaine passée, j’étais choqué par le bottom two et l’éviction d’une de mes queens favorites, vu que je ne voyais pas forcément le lien entre l’édition/la narration de l’émission, ce bottom two et cette éviction. Rien de tout ceci cette semaine. Par contre, une émission qui a commencé de façon très détendue et rigolote, avant de partir dans une empathie douce pour finir dans une émotion d’une rare intensité et d’une rare sincérité (un comble pour un show au final très construit, monté, produit) en télé-réalité (parce que ne nous leurrons pas Drag Race, c’est bien une émission de TVR calibrée pour la commu trans-pédé-bi-gouine, hein). It was as much quintessentially human as it was TV gold.
Le puppet challenge :
Un challenge bien connu de la franchise Drag Race, chaque queen se retrouve avec la marionnette d’une autre et doit caricaturer la concurrente concernée. C’est bien entendu une forme de « reading challenge » matiné d’acting, il faut un peu de sarcasme, de vitriol et d’amour vis à vis de sa victime, et surtout il faut rester drôle. Les queens s’en sortent assez bien globalement. Bertha moque gentiment Lolita et sa tendance à rappeler qu’elle danse, qu’elle danse, qu’elle danse, , Soa raille à merveille le côté un peu Fanny Ardant que Paloma peut avoir par moments quand elle expose de ses idées de drag, Paloma moque efficacement Bertha et sa gouaille et son côté bonne chair, La Grande Dame moque le côté un peu street/wesh de Soa (et cette dernière réalise qu’elle n’aime pas vraiment ce que ça renvoie d’elle, quoi qu’assez bien vu). On sent Lolita un peu moins à l’aise avec la marionnette de la Grande Dame, son truc est plus poussif et, de l’avis des autres queens en confessionnal, s’éternise. La queen modèle réduit est restée relationnellement un peu en retrait depuis le début, son coming-séropositif a été l’amorce d’un rapprochement, mais ça ne suffit pas à rattraper le retard de sisterhood que les autres ont construit entre elles, Lolital le sait, et ça se ressent un peu. Paloma gagne le challenge haut la main.
Pendant que les queens se préparent pour le maxi challenge, on apprend que Bertha a commencé il y a quelques années alors qu’elle se battait contre un cancer et que ça a un peu été son va-tout pour tenir moralement, jusqu’à en faire son métier. Les queens saluent le fait qu’elle en parle, elle-même remarque en confessional que pour qu’elle vienne à en parler aussi librement c’est bien qu’il y a une queerorité qui s’est créé avec cette compétition et l’ambiance bienveillante qui s’y est instaurée dès le premier jour. Seule Soa, qui connaissait déjà Bertha à cette époque là, était au courant et on la sent émue de voir son amie se délester d’un peu du poids de cet épisode personnel, l’amiti-amour entre ces deux là m’a touché. Lolita aussi a été touchée par cette confidence intime de Bertha et ressent le besoin de venir la prendre dans ses bras et de l’embrasser, ce qui touche clairement Bertha.
Le maxi challenge :
Les queens doivent réaliser une pub pour un parfum, elles ont carte blanche et Nicky est là pour cadrer un peu la réalisation de l’ensemble. Pour les aider à trouver l’inspiration, Paloma, gagnante du mini challenge, est chargé de leur attribuer des boîtes contenant divers accessoires formant un univers. Rien n’est obligatoire, mais si elle arrivent à s’arranger de leur lot, tant mieux. Bertha se retrouve avec une boîte irisée à thématique arc-en-ciel qui l’inspire peu, Soa avec une boîte bambou, dont elle s’arrange bien, Lolita une boîte rose au contenu girly, La Grande Dame une boîte au contenu très punk, et Paloma se garde une boîte rouge dont le contenu se révèle assez glamour old school. Le résultat nous est dévoilé après le runway, mais je vais en parler avant, hein, questions de structure d’article, et si vous m’envoyez des courriels pour râler, je vous ferai une réponse façon Crystale Bouvier Montgomery : « On s’en fout de vos courriels.
Bref, La Grande Dame présente Pschitt Pschitt, un parfum à tout faire pour les queer butch tendance mécano, en bleu, avec botte vinyl à talons et bracelets à clous, amatrice de dad jokes et de rôteuses (de bière quoi), et personnellement c’est la première fois que je connecte autant avec la Grande Dame, j’ai bien rigolu avec sa pub. Bertha nous présente Cliché by Marais, ou elle incarne une meuf hétéro cis tendance ch’ti sur les bords, en enterrement de vie de jeune fille dans le marais, reloue à souhait, même si on perd un peu le fil de sa pub, Lolita nous sort une meuf tendance ado accro au rose du genre à jouer à Secret Girls, qui a un problème de transpi odorante que le parfum vient résoudre (« Pour moi et pour le nez de mes copines ! »), c’est un peu faiblard mais mignon. Paloma nous propose Arnaque le parfum des has been, avec un personnage à la croisée de Joanna Lumley période Purdey dans Chapeau Melon, Fanny Ardant (qui lui colle a la peau, vraiment) avec un doigt de Trixie Mattel pour le côté kitsch, délicieux. Mais ma préférée, c’est Soa qui nous sort Counia (de counia mawnmawn en créole, littéralement : la teucha de ta reum) un parfum qui a le don d’empowerer la biziness woman que ses collègues hommes semblent accabler de tâche supplémentaires, et dont l’unique mot ou presque pour s’exprimer devient « Couniaaa » soufflé sensuellement, avec tout ce dont Soa est capable d’exagération. J’ai tellement ri que j’aurais pu réveiller le Duncan qui dormait au rez-de-chaussé à minuit passé.
Le runway : category is haute couture.
La Grande Dame entre sur le Runway dans une tenue noire avec un corset à la taille serrée, et un chapeau John Galliano, l’ensemble soulignant et accentuant sa silhouette mince et élancée. C’est presque un Enderman, de Minecraft, version drag tellement elle paraît encore plus grande. Et c’est la première tenue d’elle que j’aime vraiment beaucoup. Bertha se présente dans l’encadrement d’entrée sur le catwalk en montrant clairement qu’elle ne porte rien qu’une toute petite culotte sous son caftan transparent couleur chair, qui laisse deviner discrètement ses formes arrondies, et qui est surmonté à l’avant et à l’arrière des deux faces d’une petite robe/nuisette couleur chair également taille 36, l’idée étant de rappeler que la haute couture ne pense que très rarement aux corps différents (un parti pris qu’apprécie très clairement la chanteuse Yseult, juge invitée cette semaine, qui revendique ses formes et parlent de l’acceptation de l’Autre, de l’hors-norme, y compris pour soi (notamment du corps) dans ses textes). Lolita fait une entrée remarquée sur des échasses qui la rendent largement plus grande que La Grande Dame, et un chapeau « pique épingle » géant sur la tête, je ne pige pas bien le concept, mais elle ne passe pas inaperçue, d’autant qu’elle doit se baisser, sans tomber, pour entrer sur le runway, ce qui n’est pas une mince affaire avec ces échasses ! Soa arrive dans une tenue entièrement noire, qui joue sur les textures et les détails, elle est sublime, c’est sans aucun doute sa meilleure tenue (et la plus drag chic) so far. Enfin Paloma arrive dans une robe concept dessinée par Erté, un designer de mode des années 1920/1930, qui n’avait a priori jamais été réalisée IRL, c’est très joli, avec un côté spectaculaire, même si je trouve que le tissus aurait gagné à être strassé pour un effet de matière supplémentaire, plutôt que de rester sur ce gris uni un peu monotone à mes yeux, ce qui aurait ajouté un effet OMFG à l’effet déjà WOW de cette création.
Le classement :
Pendant les critiques, Paloma salue l’ambiance bienveillante qui règne dans cette édition de Drag Race, et salue certes les participantes mais aussi Nicky Doll, comme étant un des moteurs de cette bienveillance au sein du programme et de la production (une remarque intéressante, dans la mesure ou RuPaul dans le programme d’origine, a souvent été critiqué pour être très « business oriented » parfois au détriment de la sensation de bienveillance sur le plateau de l’édition US). Une fois les critiques faites, Nicky a posé la question terrible : « Qui doit partir selon vous ? » C’est une question usuelle au stade du top five dans Drag Race, elle est déjà compliquée même quand les queens sont plus bitchy et moins copines que le cast de cette première saison française, mais là tout de suite, on a senti que ça allait être dur. Et ça l’est. Parce qu’il y en a deux qui sont un peu en dessous des trois autres, et parce que dans ces deux là, une a eu plus de victoires que l’autre. Et forcément, les autres la désigne et elle-même, saisie par la situation, s’auto-désigne comme étant celle qui doit partir, soudainement défaite. Nicky renvoie les queens dans la work room, où l’ambiance est pesante, la queen désignée forcément dépitée et peinant à entendre les rappels des ses co-compétitrices que ça ne qualifie en rien la qualité de son drag, juste que à ce stade de la compétition, elle n’arrive plus forcément à se surpasser, mais son désarroi est assez terrible à voir.
Les queens reviennent pour le classement. Le top two n’est pas surprenant, même si j’aurais désigné la n°2 comme gagnante de la semaine, mais c’est vraiment par pure préférence personnelle parce que les deux sont clairement mon top 2 final. La troisième a fait pour moi sa meilleure semaine depuis le début de la compétition, même si, encore une fois c’est mes préférences persos, j’aurais préféré avoir Elips à sa place cette semaine, qui me touchait plus. Ce bottom two se profilait doucement depuis deux semaines, il ne m’étonne pas, même si ces deux queens me touchent pour des raisons très différentes et encore plus après l’émission de cette semaine jusqu’à ce moment là, et encore plus après.
Le lip synch se fait sur la chanson Corps de Yseult, une chanson qui parle de la difficulté de vivre avec soi-même, avec son corps, de s’aimer soi-même, et de la douleur que ça peut-être de parvenir à s’aimer soi-même. Les deux queens sont transcendées par cette chanson, tellement elle leur colle à l’une comme à l’autre pour des raisons différentes et ce lip synch devient soudain une catharsis pour leurs émotions, violentes, leurs douleurs intérieures à toutes les deux, au point qu’elles se mettent quasi à nu, au propre comme au figuré en se défaisant de leur tenue de scène comme d’un carcan qui brûle et s’enlacent dans un élan d’empathie, de tentative de support émotionnel mutuel, les deux queens pleurent dans les bras l’une de l’autre, le jury chiale à mort, Yseult comprise, alors que la chanson se poursuit et que le lip synch s’est perdu en route. Toute la douleur queer, et toute la douleur de celleux qui vivent la différence et la discrimination (la vraie, sociétale, systémique) vient de faire irruption sur scène. Les deux queens sont deux oisillons tombés du nid que l’on voudrait réchauffer au creux de ses mains en leur promettant que tout ira bien, en passant délicatement un doigt caressant et rassurant contre leurs nuque. Je crois que je n’avais pas connu de moment aussi fort et aussi sincère dans Drag Race depuis le coming out séropositif d’Ongina dans la première saison US. Voilà.
J’ai un instant cru qu’il y aurait un double « shantay » mais non. Il y a une gagnante et une perdante à ce lipsynch. Je n’ai pas d’avis négatif sur la décision de Nicky, au regard de cet épisode dans son ensemble et de ce lipsynch en particulier, je la comprends totalement. Et après avoir exorcisé son malaise intérieur avec autant d’intensité cette semaine, la quatrième de ce top 4 pourrait tout à fait se mettre à tout défoncer….
Ongina c’était un très beau moment, ça m’a marqué également.
Mais tellement !